Du pouvoir dans la relation thérapeutique
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9 août
"Olivier, tu me manques"
12 août
"Olivier, prends bien soin de toi"
18 août
"Olivier, tu es ma lumière merci"
19 août
"Olivier ma lumière, je commence enfin à accepter tous les sentiments que j’éprouve pour toi, je t’aime, c’est la paix, je t’embrasse"
22 août
"Olivier, ton amour fait chanter mon cœur"
3 septembre
"Oli stp envoie moi une pensée"
14 septembre
"Olivier mon cœur, mourir n’est plus une urgence"
SMS, Jeanne, 9 août au 14 septembre 2022
Jeanne est un prénom d’emprunt.
Jeanne a 78 ans. Je la reçois pour des traitements en shiatsu depuis plusieurs années. A l’origine, elle venait seule dans mon cabinet pour des douleurs musculaires et articulaires. Au départ, c’est sa fille M., que je traitais par ailleurs, qui me la confie : elle me parle de ses périodes régulières de désordre mental l’ayant conduite plusieurs fois à l’hôpital psychiatrique. Jeanne prend des psychotropes sur une base chronique. Je vous passe le reste de son tableau clinique.
Le shiatsu semble convenir à Jeanne car elle revient chaque mois pendant 2 ans et me renvoie que les séances diminuent les douleurs et calment son esprit. Pourtant les séances s’arrêtent brutalement. Jeanne est internée à l’hôpital psychiatrique pour plusieurs mois.
Un an plus tard, je reprends les séances à domicile à la demande de M.. Jeanne est sortie de l’hôpital depuis quelques mois mais son état général s’est détérioré : elle ne quitte plus son lit que pour se laver et marcher dans la rue avec la kiné. Vertiges réguliers et chutes fréquentes. Les douleurs ont augmenté, surtout dans la jambe droite. Céphalées régulières et violentes. Incontinence. Alternance de diarrhées et constipation. Syndrômes dépressifs et désir de mort. Absence totale d’autonomie : passages quotidiens des services d’aide à la vie journalière, infirmiers et autres professionnels de la santé. Nombreux médicaments.
Les séances ont repris depuis plusieurs mois. Chaque semaine. Je vous passe le détail du traitement. Nous parlons aussi abondamment. Malgré son instabilité émotionnelle, Jeanne a toute sa tête. Je suis souvent surpris par la qualité de sa mémoire. Elle me parle de son enfance. De son « calvaire » avec feu son homme. De ses enfants. De son désir de mort et de sa culpabilité à partir en laissant ses enfants. De la culpabilité de ses enfants à la laisser partir. Elle me demande si je connais des points pour donner la mort.
Un jour, elle me parle du bien que je lui fais. De son attente, jour et nuit, de la séance qui suit. De fil en aiguille, elle finit par m’avouer qu’elle ressent de l’amour pour moi. Elle m’envisage tour à tour comme son gourou, son sage, son amoureux… « Depuis toujours ». Elle me dit qu’après mure réflexion, elle tient à ce que je sois présent le jour de sa mort pour l’accompagner.
J’appelle sa fille, lui parle de mon malaise ; que j’envisage de suspendre les séances ou de renvoyer Jeanne vers un autre thérapeute. Je lui exprime que je n’ai aucune envie de me retrouver sur le testament de sa mère ni de créer un incident diplomatique en occupant dorénavant une place qui ne me revient pas.
Contre toute attente, sa fille m’interdit de suspendre les séances. Elle me dit que je suis ce qui arrive de mieux à sa mère pour finir sa vie. Elle semble paniquée à l’idée de devoir s’occuper de sa mère « toute seule » et de voir son état à nouveau plonger dans les affres du plus profond désespoir.
Respirer. Se poser. Ecouter en soi les voix qui sont à l’œuvre.
Toute relation sexuelle ou émotionnelle inappropriée avec un ancien client/étudiant ou un client/étudiant actuel est strictement interdite. Ceci est d’application pendant le traitement et jusqu’à 2 mois après la fin du traitement ou après la clarification des rapports de forces sous supervision. Tout membre qui remarque son implication dans un contact inapproprié avec un client est tenu de mettre fin immédiatement à la relation professionnelle, de trouver un superviseur et d’orienter le client vers un collègue. (extrait du Code de déontologie de la FBS)
Jeanne se trouve manifestement dans un état amoureux. Ce n’est pas réciproque mais l’état de ma cliente la place dans une situation de dépendance incompatible avec la poursuite de la prise en charge. En effet, la finalité du traitement est d’offrir au client un chemin de liberté. Liberté par rapport à la douleur et la maladie. Liberté par rapport à toute forme de contraction. Liberté qui apporte du mouvement là où l’expérience humaine rétrécit. En poursuivant les séances avec moi, elle consent à l’extase amoureuse qui libère mais renonce au shiatsu stricto sensu. Je dois renvoyer à un autre thérapeute.
Jeanne vit manifestement une forme de transfert, au sens psychanalytique du terme. En réalité, elle projette sur moi une émotion qui naît de la prise en charge professionnelle et rejoue avec son thérapeute un scénario qui ne concerne qu’elle. J’apprends d’ailleurs que je ne suis pas le premier : selon ses propres termes, elle est, dans sa vie, tombée « raide dingue » de plusieurs professionnels de la santé (un infirmier, un médecin généraliste…), avec qui elle dit avoir entretenu par moments des relations sexuelles. Selon les tenants de la psychanalyse, le transfert est intéressant lorsqu’il est conscientisé comme tel, ce qui est le cas en l’occurrence puisque ma cliente utilise ce terme elle-même et qu’il lui apparaît clairement que les sentiments ne sont pas réciproques. Dois-je poursuivre les séances ? Utiliser le transfert à l’œuvre pour aider ma cliente à prendre conscience de la nature asymétrique de notre relation, mais aussi des jeux de pouvoir qui sont à l’œuvre dans sa vie qui la freinent dans l’acceptation de son chemin de vie, dans l’acceptation de la mort ?
En exprimant sa détresse à l’idée que je stoppe les traitements, la fille de Jeanne m’enferme dans une prise en charge qui ne me convient plus. Si j’arrête, je serai coupable d’avoir aggravé le malheur de sa mère, voire d’avoir accéléré son décès. Je serai aussi responsable d’avoir reporté une partie de la prise en charge sur tout son entourage, déjà fatigué par les soins quotidiens apportés à une femme alitée, souffrante et déprimée. Je refuse de jouer un tel scénario. Dois-je plutôt espacer les séances et refuser toute immixtion de cette prise en charge dans ma vie privée ? Ne devrais-je pas tout simplement recadrer, en mode : « Chère Jeanne, je suis ton thérapeute en shiatsu, je ne suis pas ton amoureux, ni ton psychologue, ni ton confesseur. J’entretiens avec toi une relation thérapeutique identique à celle que j’entretiens avec tous mes clients. J’ai de l’empathie et de la compassion pour toi. Je ressens pour toi, comme pour tous mes clients, un Amour fraternel. C’est beaucoup, mais ce n’est pas davantage. »
A la suite de Carl Rogers et des tenants des différentes formes de thérapies centrées sur la personne (Gestalt, analyse transactionnelle, analyse existentielle…), j’ai acquis la conviction qu’il n’existe pas, entre le client et le thérapeute, de séparation tangible. J’en fait l’expérience quotidienne lorsque mon état vibratoire rejoint celui de mon environnement, que ce soit dans la transe méditative ou même dans le traitement shiatsu. Combien de fois n’ai-je pas versé une larme devant la détresse d’un client ou partagé intérieurement la colère d’un autre? Tous les praticiens le savent et l’expérimentent : au départ, tout est énergie. La philosophie taoïste semble d’ailleurs rejoindre la physique quantique : avant toute chose matérielle et au-delà, nous partageons tous la même énergie universelle. Le même Amour ? Dans ce cas, à quoi bon vouloir recadrer les choses ? S’il n’y a pas de séparation, dois-je simplement tout laisser en l’état ?
Si je suis vraiment honnête avec moi-même, je dois bien avouer que j’apprécie ses déclarations d’amour : si elle m’aime autant, c’est que mon shiatsu est efficace. Si elle exprime tant de détresse à l’idée de passer quelques heures sans moi, c’est que je suis vraiment important pour elle. Si elle me réclame sur son lit de mort, c’est que j’ai des pouvoirs que d’autres n’ont pas… Je dois poursuivre les séances car je suis responsable de son bien -être. Ces pensées me dégoûtent car j’ai conscience qu’elles nourrissent un ego qui manque de signes de reconnaissance. Ah. Ne devrais-je pas alors arrêter les séances si elles me font tant de bien à moi-même ?
Et vous, quelles sont vos voix à ce sujet ?
En 2021, j’ai donné 450 séances de shiatsu à 180 clients différents.
Parmi les 180 clients traités en 2021, certains étaient des jeunes et jolies jeunes femmes. Quel aurait été mon débat intérieur si l’une d’entre elle m’avait déclaré sa flamme ? D’autres clients étaient aux prises avec des réalités tout autres. Je pense à cette femme, d’âge mûr, qui me consultait pour l’aider à sortir du deuil de son fils, retrouvé pendu quelques mois plus tôt. Je ne me souviens plus si j’ai pleuré avant ou après son départ de mon cabinet. Je repense aussi à ce jeune homme, manifestement à haut potentiel, en décrochage scolaire après une double tentative de suicide, surmédiqué, dont le profil ressemble à celui de mon fils avec qui les relations sont parfois difficiles depuis son départ de la maison à l’adolescence.
La nature même de notre métier nous conduit à entrer dans un contact intime avec nos clients. L’intimité partagée éveille en nous des débats utiles, dont on sort parfois difficilement à la seule force de la méditation et de nos efforts personnels d’introspection.
La question de la supervision se pose : le regard posé par un tiers m’aide à me poser et à faire le tri.
Et vous, quelles sont vos voix à ce sujet ?
Pour la FBS, la pratique de la supervision mérite d’être stimulée. Si vous aussi vous pensez que la pratique de la supervision peut apporter un plus dans votre vie professionnelle, sans trop savoir par où commencer, nous vous invitons à nous en faire part en nous envoyant un email à l’adresse .
Nous ne manquerons pas alors de vous recontacter dans les prochaines semaines pour vous proposer une initiative dont nous conviendrons ensemble des modalités.
Olivier de Stexhe
Je poursuis ma voie et tu suis la tienne
Je ne suis pas en ce monde pour répondre à tes attentes
Et tu n’es pas en ce monde pour répondre aux miennes
Tu es toi et je suis moi…
Et si par chance, nous nous rencontrons,
Alors c’est merveilleux !
… Sinon nous n’y pouvons rien !
Prière de la Gestalt de Perls, traduite par Serge Ginger